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rage ? Je le crois. Quand le mariage auquel elle avait songé pour moi fut écarté, elle en eut un certain regret, bien que ce projet eût, à quelques égards, cessé de lui sourire. Mais, ô mystère des cœurs de femmes ! l’épreuve au-devant de laquelle elle avait couru lui devint cruelle quand elle lui fut offerte. Elle avait bien voulu du calice d’absinthe que ses mains avaient préparé ; elle hésitait maintenant devant celui que je lui offrais, quoique j’eusse mis tout mon art à le rendre doux pour elle. Terrible conséquence des délicatesses exagérées ! Ce frère et cette sœur qui se sont tant aimés furent un jour amenés, pour ne s’être point parlé avec assez de franchise, à se tendre des pièges sans le savoir, à se chercher et à ne se trouver pas. Ce turent là pour nous des jours très amers. Tout ce que l’amour peut avoir d’orages, nous le traversâmes. Quand elle me disait qu’en me proposant un mariage elle n’avait voulu qu’éprouver si je lui suffisais, quand elle m’annonçait que le moment de mon union à une autre personne serait celui de son départ, la mort entrait dans mon cœur. Est-ce à dire que le