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avoir assez dit combien je l’aimais, d’avoir trop cédé à mon penchant vers la concentration taciturne, de n’avoir pas mis à usure chaque heure qui m’était laissée ! Oh ! si je pouvais retrouver un seul de ces moments que je n’ai point passés à la rendre heureuse ! Mais je prends à témoin son âme élue qu’elle fut toujours au fond de mon cœur, qu’elle régna sur toute ma vie morale comme il ne fut jamais donné à personne de régner, qu’elle fut toujours le principe de mes tristesses et de mes joies. Si j’ai péché envers elle, ce fut par suite d’une raideur de manières à laquelle les personnes qui me connaissent ne doivent pas s’arrêter, et par un sentiment de respect déplacé qui me faisait éviter avec elle tout ce qui eût ressemblé à une profanation de sa sainteté. Elle-même était retenue à mon égard par un sentiment semblable. Ma longue éducation cléricale, pendant quatre ans absolument solitaire, m’avait donné à cet égard un pli de caractère que sa réserve délicate l’empêchait de combattre autant qu’elle l’aurait pu.