Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de narquois et de léger, à la manière française. Jamais elle ne s’est moquée de personne. La malignité lui était odieuse ; elle y voyait quelque chose de cruel. Je me rappelle qu’à un pardon de Basse-Bretagne, où l’on allait en bateau, notre barque était précédée d’une autre où se trouvaient des dames pauvres qui, ayant voulu se faire belles pour la fête, étaient tombées dans des arrangements de toilette chétifs et de mauvais goût. Les personnes avec qui nous étions en riaient, et les pauvres dames s’en apercevaient. Je la vis fondre en larmes : accueillir par le persiflage de bonnes personnes qui oubliaient un instant leurs malheurs pour s’épanouir et, qui, peut-être, se mettaient dans la gêne par déférence pour le public, lui sembla une barbarie. A ses yeux, l’être ridicule était à plaindre ; dès lors elle l’aimait et elle était pour lui contre le railleur.

De là sa froideur pour le monde et sa pauvreté dans les conversations ordinaires, presque toutes tissues de malices et de frivolités. Elle avait vieilli avant le temps, et elle avait l’habitude d’exagérer encore son âge par son costume et ses manières. Il y avait chez elle