Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rendait fort sévère ; elle admettait très peu des écrivains de nos jours, et quand elle vit les essais que j’avais composés avant notre réunion et qui n’avaient pu arriver jusqu’à elle en Pologne, ils ne lui plurent qu’à demi. Elle en partageait la tendance, et en tout cas, elle pensait que dans cet ordre de pensées intimes, exprimées avec mesure, chacun doit donner ce qui est en lui avec une entière liberté. Mais la forme lui paraissait abrupte et négligée ; elle y trouvait des traits excessifs, des tons durs, une manière trop peu respectueuse de traiter la langue. Elle me convainquit qu’on peut tout dire dans le style simple et correct des bons auteurs, et que les expressions nouvelles, les images violentes viennent toujours ou d’une prétention déplacée, ou de l’ignorance de nos richesses réelles. Aussi, de ma réunion avec elle date un changement profond dans ma manière d’écrire. Je m’habituai à composer en comptant d’avance sur ses remarques, hasardant bien des traits pour voir quel effet ils produiraient sur elle, et décidé à les sacrifier si elle me le demandait. Ce procédé d’esprit est devenu pour moi, depuis qu’elle n’est plus,