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que je mûrissais à cette époque qu’elle ne comprît. Sur beaucoup de points d’histoire moderne, qu’elle avait étudiés aux sources, elle me devançait. Le plan général de ma carrière, le dessein de sincérité inflexible que je formais était si bien le produit combiné de nos deux consciences que, si j’eusse été tenté d’y manquer, elle se fût trouvée près de moi, comme une autre partie de moi-même, pour me rappeler mon devoir.

Sa part dans la direction de mes idées fut ainsi très étendue. Elle était pour moi un secrétaire incomparable ; elle copiait tous mes travaux et les pénétrait si profondément que je pouvais me reposer sur elle comme sur un index vivant de ma propre pensée. Je lui dois infiniment pour le style. Elle lisait en épreuves tout ce que j’écrivais, et sa précieuse censure allait chercher avec une délicatesse infinie des négligences dont je ne m’étais pas aperçu jusque-là. Elle s’était fait une excellente manière d’écrire, toute prise aux sources anciennes, et si pure, si rigoureuse, que je ne crois pas que depuis Port-Royal on se soit proposé un idéal de diction d’une plus parfaite justesse. Cela la