Page:Renan - Lettres intimes 1842-1845, calmann-levy, 1896.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et dans l’avenir surtout ? Je te déclare qu’à l’instant où je ne t’aurai plus, je renonce à tout intérêt à la vie ; elle devient pour moi décolorée, sans nerf et sans ressort, je me suicide en un mot pour la société. Mon Dieu ! que de fois j’en ai eu la tentation ; mais ton souvenir me sauvait et me faisait prendre la vie en estime et en affection. Je deviendrais égoïste, chère amie, égoïste d’une manière affreuse ; ah ! sauve-moi de ce malheur. Réfléchis à cela, bonne Henriette ; songe que ma vie est attachée à la tienne, et tu seras convaincue que la première marque par laquelle tu peux me témoigner ton affection, c’est de te conserver pour moi.

Opposerais-tu notre état financier ? Amie, laisse-moi te combattre encore sur ce point. D’abord, je ne m’imaginerai jamais que ces grands seigneurs te laissent partir les mains vides et sans ressource pour l’avenir ; ce serait inouï. Et moi, chère amie, si dès la première année je suis au pair, il n’est pas probable que j’aille par la suite en rétrogradant, surtout quand j’aurai mes grades. Un licencié ne peut manquer de trouver des places fort