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gnement. Elle travaillait seize heures par jour. Toutes les épreuves publiques imposées par les règlements, elle les subit. Ce travail n’eut pas sur elle l’effet qu’il aurait eu sur une nature médiocre. Au lieu de l’éteindre, il la fortifia, et amena chez elle un grand développement d’idées. Son instruction, déjà très étendue, devint exceptionnelle. Elle étudia les travaux de l’école historique moderne, et il me suffit plus tard de quelques mots pour lui donner le sens de la plus fine critique. Du même coup ses idées religieuses se modifièrent. Elle vit par l’histoire l’insuffisance de tout dogme particulier ; mais le fond religieux qui était en elle par le don de la nature et par le fait de l’éducation première était trop solide pour être ébranlé. Tout ce développement, qui eût pu être dangereux chez une autre femme, fut ici sans venin ; car elle le garda pour elle seule. La culture de l’esprit avait à ses yeux une valeur intrinsèque et absolue ; elle ne songea jamais à en tirer une satisfaction de vanité.

Ce fut en 1838 qu’elle me fit venir à Paris. Élevé à Tréguier, par d’excellents prêtres qui