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Le travail manuel d’une jeune fille était pour cela tout à fait insuffisant. La carrière qu’elle embrassa fut la plus amère de toutes. Il fut résolu que nous retournerions à Tréguier et qu’elle y exercerait les fonctions d’institutrice. De toutes les conditions qu’une personne bien élevée et sans fortune peut choisir, l’éducation des femmes dans une petite ville de province est sans contredit celle qui demande le plus de courage. On était aux premiers temps qui suivirent la révolution de 1830. Ce fut pour ces provinces écartées un moment de crise fâcheuse. La noblesse, sous la Restauration, voyant son privilège incontesté, avait pris franchement part au mouvement du monde. Maintenant, se croyant humiliée, elle se vengeait en se retirant dans un cercle étroit et en appauvrissant le développement général de la société. Toutes les familles légitimistes affectaient de ne confier leurs enfants qu’à des communautés religieuses. Les familles bourgeoises, pour suivre la mode et faire comme les gens de qualité, adoptèrent bientôt le même usage. Incapable de descendre à ces moyens d’habileté vulgaire