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pleinement ratifié par moi. Si tes recherches n’amenaient pas encore un résultat conforme à tes désirs, agis comme incertaine de mon consentement. Du reste, ton instinct délicat te guidera bien mieux en tout cela que tout ce que je pourrais te dire. Il a dû me suffire de te mettre au courant de ma position actuelle.

Que toutes ces pensées, ma chère Henriette, préoccupent mon âme et la jettent dans de cruelles perplexités ! Je suis peut-être plus calme qu’au temps où j’hésitais encore ; mais plus que jamais l’avenir, que je n’avais pas encore vu de si près, me remplit de crainte. Moi si faible, si inexpérimenté ; moi isolé de tout appui, n’ayant d’autre soutien que toi, mon Henriette, toi à cinq cents lieues de moi, chercher à briser des liens si forts, m’arracher à la voie où jusqu’ici une force supérieure m’a conduit !… Je m’effraie quand j’y songe ; mais je ne reculerai pas. Et puis, crois-tu que je peux me séparer sans regret de ces croyances, de ces projets, qui ont fait si longtemps ma vie et mon bonheur ? Et tout ce monde dans lequel je m’étais naturalisé, et qui va me renier !… Et l’autre monde voudra-t-il de moi ?