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IX


Varsovie, 9 mai 1844.

Je relis et j’embrasse encore une fois ta lettre, mon bon et mille fois cher ami, cette lettre si longtemps désirée et enfin reçue avec une si vive joie ! Mon cœur n’existe que dans ma correspondance ; quand cet aliment vient à lui manquer, il mesure avec une double amertume l’immense solitude qui l’entoure. Hélas ! oui, mon bon Ernest, la vie, pour beaucoup du moins, s’écoule au milieu de personnes avec lesquelles il n’est d’autres rapports possibles que ceux d’une froide politesse, et ni toi ni moi ne sommes de ceux que ces sortes de relations peuvent satisfaire. S’accoutumer à vivre ainsi est longtemps et peut-être toujours rude et pénible ; puisse le ciel permettre que l’épreuve que tu en fais ne soit que temporaire ! Déjà, je compte souvent les mois qui te séparent du moment où tu verras notre bonne mère, et je le vois approcher