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C’est toi que Dieu m’a donnée afin d’aimer et d’être aimé de cette amitié pure, que la nature, c’est-à-dire la Providence elle-même, a instituée, et dont elle est d’ailleurs si peu prodigue. Je t’ai exposé tous les rêves qui occupent mon esprit dans ses moments d’oisiveté. A qui les dirais-je, sinon à la confidente de mes pensées les plus intimes, à celle qui ne partage qu’avec une autre un cœur que Dieu a fait capable d’aimer ? Quelle qu’en soit la réalisation, ce que je désire par-dessus tout, ce à quoi je me sens prêt à tout sacrifier, ce que je veux toujours conserver, quoique je sente bien que cela soit au-dessus des forces de la nature, ce sont ces principes de droiture et de vérité, qui mettent le bonheur au-dessus des événements fortuits et de tous les efforts des hommes.

J’ai reçu, il y a peu de temps, une lettre de notre bonne mère. Elle est toujours bien portante, gaie, contente, ne vivant que de nous et par nous. Cette pauvre mère est déjà tout en fête, en songeant que dans quelques mois elle me possédera encore : tu penses bien que ma joie ne serait pas moindre que la sienne.