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les destinées de chaque homme, qu’en voyant combien l’acte le plus influent sur cette destinée est peu en son pouvoir. Car enfin, je ne puis me cacher à moi-même que toutes mes réflexions ne peuvent que fort médiocrement me diriger, vu que l’avenir, qui seul pourrait me donner un point fixe en cette recherche, m’est impitoyablement caché. Oui sans doute, nous sommes menés… Heureusement que le chrétien peut ajouter : nous sommes bien menés. Voilà à vrai dire la seule consolation logique et vraiment solide.

Du reste, mes idées sont à peu près les mêmes. Les choses en elles-mêmes, abstraction faite des faits, l’a priori m’attire, mais l’expérience m’épouvante. Mes réflexions et les faits dont je suis journalièrement témoin ne font que confirmer ces deux tendances opposées. Croirais-tu que déjà j’en puis appeler sur ce point à ma propre expérience ! Si l’espace me le permettait, ma bonne Henriette, je te raconterais diverses choses qui te feraient comprendre que mes craintes ne sont pas imaginaires, et que si je persévère, ce ne sera pas sans sacrifice de moi-même. Il te suffira de