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Le temps de mon séjour à Tréguier a été pour moi, chère Henriette, un vrai temps de bonheur. Il est vrai que j’en avais un extrême besoin : le travail sérieux et assidu auquel je me suis livré durant mes deux années d’Issy, le manque de vacances de l’année dernière, — car je ne compte pas pour vacances celles que j’y ai passées dans une solitude presque absolue — et surtout des peines sensibles que j’ai éprouvées sur la fin de ma seconde année, m’avaient tellement abattu au physique et au moral, que j’en étais devenu méconnaissable. J’ai presque effrayé toutes nos connaissances, et je n’ai pas été peu surpris à la question qu’on m’a parfois adressée, si j’étais enfin remis de ma maladie. Tu sais comme dans ce pays on est fécond en hypothèses, surtout sur le compte d’autrui. Quoi qu’il en soit, les soins de notre bonne mère m’ont complètement remis de mes fatigues, et les douceurs que j’ai goûtées auprès d’elle ont dissipé au moins momentanément les soucis qui depuis longtemps obsédaient ma pensée. Je ne crois pas, en effet, avoir jamais passé deux mois plus heureux dans ma vie, surtout à cause