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et j’en fais tous les jours l’expérience. Notre professeur de physique est un homme de premier mérite : ses digressions sur l’histoire de la science et l’esprit propre qui la caractérise sont du plus grand intérêt. Quant à la philosophie, notre professeur en est à ses premiers essais : mais je me convaincs de jour en jour que, pour la philosophie, la médiocrité du professeur est un fort mince inconvénient : pour bien faire la philosophie, il faut à la lettre la faire soi-même : nulle part le dire du professeur ne doit avoir moins d’influence. Je lis en ce moment avec un extrême plaisir les œuvres philosophiques de Malebranche, qui était bien le plus beau rêveur et le plus terrible logicien qui ait jamais existé. J’y trouve une double joie : Malebranche était sans doute un hardi penseur, et pourtant il était prêtre, bien plus, membre d’une congrégation religieuse, et il vécut tranquille à une époque où le concours de l’autorité séculière et l’esprit du siècle donnaient à l’autorité ecclésiastique encore plus de fierté et de pouvoir. Voilà comme l’homme est porté par son propre poids vers l’espérance.