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même. Une vie toute privée, si je peux le dire, ferait bien mon bonheur ; mais elle me paraît entachée d’égoïsme : là on vit bien avec soi, mais aussi on ne vit que pour soi ; d’ailleurs pourrais-je soutenir la pensée d’être à charge à ceux que j’aime ? L’état ecclésiastique, au contraire, en réunit tous les avantages, sans en avoir les inconvénients : le prêtre est le dépositaire de la sagesse et des conseils, c’est l’homme de l’étude et de la méditation, et c’est avec cela l’homme de ses frères.

Cet heureux mélange de vie privée et publique, de solitude pour soi, de sacrifice pour les autres, constituerait pour moi le beau idéal de la vie heureuse et parfaite. Pourquoi faut-il que la malice des hommes vienne le troubler ! Du reste, c’est une chose à laquelle il faut s’attendre : tout ce qu’il y a de plus beau et de plus pur s’altère et se corrompt en passant par leurs mains. Quoi de plus bienfaisant et de plus grand que la religion ! quoi de plus funeste et de plus petit, si on la considère dans les hommes, qui en font l’instrument de leurs passions, et la rabaissent au niveau de leur petitesse ! Quoi de plus