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habitons un désert où il m’est impossible d’avoir un maître, et en étudiant seule je me trouve arrêtée à chaque pas. — L’étude, mon bon Ernest, fait oublier bien des dégoûts ; on vit alors dans un monde idéal qui, quel qu’il soit, vaut toujours mieux que le monde positif. Moins il m’est possible de m’y livrer, plus j’en apprécie le charme et la douceur.

J’ai passé à Varsovie, dont nous sommes à environ soixante lieues, le mois d’août et une partie de septembre : nous ne sommes de retour que depuis environ un mois. — Pour te former une idée du pays que j’habite, il faut, mon bon ami, te représenter d’immenses et monotones plaines de sable qui feraient penser à l’Arabie ou à l’Afrique, si d’interminables forêts de sapins et de bouleaux ne venaient, en les interrompant, rappeler qu’on se trouve dans le voisinage du nord. D’ailleurs, le climat ne le laisse pas oublier : il a déjà fait froid, mais froid comme à Paris à la fin de décembre. Le 30 avril, j’ai vu tomber de la neige en traversant la Galicie, et, le 14 octobre, j’ai revu des glaçons, en me promenant à midi sur le bord de la rivière. Le printemps,