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à nu et sans voile, ce qui est aussi rare que difficile, à observer les faits, à les combiner, à raisonner sur ces faits, et surtout a ne pas vivre en aveugle au milieu des merveilles et des singularités qui nous environnent de toutes parts, plus encore dans l'ordre intellectuel que dans l’ordre physique, et auxquelles on ne fait aucune attention. C’est encore là une des impressions les plus vives de l’étude de la philosophie, c’est de montrer des singularités partout. Si elle ne donne pas la solution des problèmes, au moins apprend-elle à les voir. J’aime beaucoup la manière de tes penseurs allemands, quoique un peu sceptiques et panthéistes. Si tu vas jamais à Königsberg, je te charge d’un pèlerinage au tombeau de Kant.

Cette disposition d’esprit à la réflexion, jointe à la tranquillité et à la liberté d’esprit dont on jouit ici, vu qu’aucune occupation n’est imposée, m’a permis de réfléchir un peu sur moi et sur mon avenir. Jusqu’ici, je l’avoue, j’y avais peu pensé, et je m’étais contenté de suivre les impulsions que l’on me donnait ; j’ai commencé enfin à y porter un