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puiser la jeunesse. Est-ce trop de rationalisme qui a perdu cette malheureuse Italie, qui nous offre en ce moment le lamentable spectacle d’un membre de l’humanité atteint de paralysie ! Est-ce trop de critique qui a desséché les vaisseaux qui lui portaient la vie ? N’était-elle pas plus belle et plus forte au xve et dans la première moitié du xvie siècle, alors qu’elle devançait l’Europe dans les voies de la civilisation, et ouvrait ses ailes au plus hardi rationalisme ? Sont-ce les croyances religieuses qui lui ont maintenu sa vigueur ? L’Italie païenne de Jules II et de Léon X ne valait-elle pas cette Italie exclusivement catholique de Pie V et du concile de Trente ? Renverser le Capitole ou le temple de Jupiter Stateur eût été renverser Rome. Il faut qu’il n’en soit plus ainsi chez les nations modernes, puisque le repos dans les cultes religieux suffit pour énerver une nation (35). Il y a quelques mois les Romains fondaient leurs cloches pour en faire de gros sous. Certes si la religion des modernes était comme celle des anciens, la moelle épinière de la nation elle-même, c’eût été là une grosse absurdité. C’est comme si l’on croyait enrichir la France en convertissant la Colonne en monnaie. Mais que faire quand les dieux s’en sont allés ? Symmaque demandant le rétablissement de l’autel de la Victoire faisait tout simplement acte de rhéteur.

L’antiquité n’ayant jamais compris le grand objet de la culture lettrée, et l’ayant toujours envisagée comme un exercice pour apprendre à bien dire, il n’est pas étonnant que les âmes fortes de ce temps se soient montrées sévères pour la petite manière des rhéteurs et l’éducation factice et sophistique qu’ils donnaient à la jeunesse. Les hommes sérieux concevaient comme idéal de la vertu des caractères grossiers et incultes, et comme idéal de la société un