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ropéenne, emportera avec elle ce qui en est le corollaire inséparable, la méthode rationnelle, l’esprit expérimental, le sens du réel, l’impossibilité de croire à des traditions religieuses évidemment conçues en dehors de toute critique. Déjà les musulmans rigides s’en inquiètent et signaient le danger à la jeunesse émigrante. Le scheich Rifaa, dans l’intéressante relation de son voyage en Europe, insiste vivement sur les déplorables erreurs qui déparent nos livres de science, comme le mouvement de la terre, etc., et ne regarde pas encore comme impossible de les expurger de ce venin. Mais il est évident que ces hérésies ne tarderont pas à être plus fortes que le Coran, dans des esprits initiés aux méthodes modernes. La cause de cette révolution sera non pas notre littérature, qui n’a pas plus de sens aux yeux des Orientaux que n’en eut celle des Grecs aux yeux des Arabes du ixe et du xe siècle, mais notre science, qui, comme celle des Grecs, n’ayant aucun cachet national, est une œuvre pure de l’esprit humain (20).

Il y a, je le sais, dans l’homme des instincts faibles, humbles, féminins, si j’ose le dire, une certaine mollesse, qui a des analogies fort étendues qu’on devine sans vouloir se les définir, et dont le physiologiste aurait peut-être autant à s’occuper que le psychologue (21), instincts qui souffrent de cette mâle et ferme tenue du rationalisme, laquelle ressemble parfois à une sorte de raideur (22). Dans la vie des individus, comme dans celle de l’humanité, il y a des moyen âges, des moments où la réflexion se voile, s’obscurcit, et où les instincts reprennent momentanément le dessus. Il est certaines âmes d’une nature fort délicate qu’il sera à jamais impossible de plier à ce sévère régime et à cette austère