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gouvernement du monde, n’ayant jamais pu, diront-ils, venir à la pensée de l’auteur de l’histoire de la Civilisation. Mais comment excuseront-ils le raisonnement que voici : La société a toujours présenté jusqu’ici trois types de situation sociale, des hommes vivant de leur revenu, des hommes exploitant leur revenu, des hommes vivant de leur travail ; donc cela est de la nature humaine, et il en sera toujours ainsi. Avec autant de raison on eût pu dire dans l’antiquité : La société a toujours compté jusqu’ici trois classes d’hommes une aristocratie, des hommes libres, des esclaves ; donc cela est de la nature humaine, donc il en sera toujours ainsi. Avec autant de raison on eût pu dire en 1780 : L’État a toujours renfermé jusqu’ici trois classes d’hommes : les gouvernants, l’aristocratie limitant le pouvoir, la roture ; donc cela est de la nature humaine ; donc vous qui voulez changer cet ordre, vous êtes des fous dangereux, des utopistes.

Certes, nul plus que moi n’est convaincu qu’on ne reforme pas la nature humaine. Mais les esprits étroits et absolus ont une singulière façon de l’entendre. La nature humaine est pour eux ce qu’ils voient exister de leur temps et dont ils souhaitent la conservation. Il y a de meilleures raisons pour soutenir qu’une noblesse privilégiée est de l’essence de toute société que pour soutenir qu’une aristocratie pécuniaire lui est nécessaire. Le vrai, c’est que la nature humaine ne consiste qu’en instincts et en principes très généraux, lesquels consacrent, non tel état social de préférence à tel autre, mais seulement certaines conditions de l’état social, la famille, la propriété individuelle par exemple. Le vrai, c’est qu’avec les éternels principes de sa nature, l’homme peut réformer l’édifice politique et social ; il le peut, puisqu’il l’a incontes-