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l’homme dans son œuvre réformatrice, c’est qu’il persistera per fas et nefas à corriger la création, c’est qu’il poursuivra jusqu’au bout son œuvre sainte : combattre les causes aveugles et l’établissement fortuit, substituer la raison à la nécessité. Les religions de l’Orient disent à l’homme : Souffre le mal. La religion européenne se résume en ce mot : Combats le mal. Cette race est bien fille de Japet : elle est hardie contre Dieu.

Les clairvoyants remarqueront que c’est ici le nœud du problème, que toute la lutte a lieu en ce moment entre les vieilles et les nouvelles idées de théisme et de morale. Il suffit qu’ils le voient. Nous sommes ici à la ligne sacrée où les doctrines se séparent un point de divergence entre deux rayons partant du centre met entre eux l’infini. Retenez bien au moins que les théories du progrès sont inconciliables avec la vieille théodicée, qu’elles n’ont de sens qu’en attribuant à l’esprit humain une action divine, en admettant en un mot comme puissance primordiale dans le monde le pouvoir réformateur de l’esprit.

Le lien secret de ces doctrines n’est nulle part plus sensible que dans le dernier livre de M. Guizot, livre inestimable, et qui aura le rare privilège d’être lu de l’avenir, car il peint avec originalité un curieux moment intellectuel. Croira-t-on, dans cinq cents ans, qu’un des premiers esprits du xixe siècle ait pu dire que, depuis l’émancipation des diverses classes de la société, le nombre des hommes distingués ne s’est point accru en France, comme si la Providence, ajoute-t-il, « ne permettait pas aux lois humaines d’influer, dans l’ordre intellectuel, sur l’étendue et la magnificence de ses dons » (12). Les Aristarques d’alors tiendront ceci pour une interpolation, et en apporteront des preuves péremptoires, une aussi étroite conception du