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En général la philosophie du xviiie siècle et la politique de la première Révolution présentent les défauts inséparables de la première réflexion : l’inintelligence du naïf, la tendance à déclarer absurde ce dont on ne voit point la raison immédiate. Ce siècle ne comprit bien que lui-même, et jugea tous les autres d’après lui-même. Dominé par l’idée de la puissance inventrice de l’homme, il étendit beaucoup trop la sphère de l’invention réfléchie. En poésie, il substitua la composition artificielle à l’inspiration intime, qui sort du fond de la conscience, sans aucune arrière-pensée de composition littéraire. En politique, l’homme créait librement et avec délibération la société et l’autorité qui la régit. En morale, l’homme trouvait et établissait le devoir, comme une invention utile. En psychologie, il semblait le créateur des résultats les plus nécessaires de sa constitution. En philologie, les grammairiens du temps s’amusaient à montrer l’inconséquence, les fautes du langage, tel que le peuple l’a fait, et à corriger les écarts de l’usage par la raison logique, sans s’apercevoir que les tours qu’ils voulaient supprimer étaient plus logiques, plus clairs, plus faciles que ceux qu’ils voulaient y substituer. Ce siècle ne comprit pas la nature, l’activité spontanée. Sans doute l’homme produit en un sens tout ce qui sort de sa nature ; il y dépense de son activité, il fournit la force brute qui amène le résultat ; mais la direction ne lui appartient pas ; il fournit la matière mais la forme vient d’en haut ; le véritable auteur est cette force vive et vraiment divine que recèlent les facultés humaines, qui n’est ni la convention, ni le calcul, qui produit son effet d’elle-même et par sa propre tension. De là cette confiance dans l’artificiel, le mécanique, dont nous sommes encore si profondément