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de la science de songer que rien ne pourra le détruire, que le monument auquel il a ajouté une pierre est éternel, qu’il a sa garantie, comme la morale, dans les instincts mêmes de la nature humaine.

On n’envisage d’ordinaire la science que par ses résultats pratiques et ses effets civilisateurs. On découvre sans peine que la société moderne lui est redevable de ses principales améliorations. Cela est très vrai mais c’est poser la thèse d’une façon dangereuse. C’est comme si, pour établir la morale, on se bornait à présenter les avantages qu’elle procure à la société. La science, aussi bien que la morale, a sa valeur en elle-même et indépendamment de tout résultat avantageux.

Ces résultats, d’ailleurs, sont presque toujours conçus de la façon la plus mesquine. On n’y voit d’ordinaire que des applications, qui sans doute ont leur prix et servent puissamment par contre-coup le progrès de l’esprit, mais qui n’ont en elles-mêmes que peu ou point de valeur idéale. Les applications morales, en effet, détournent presque toujours la science de sa fin véritable. N’étudier l’histoire que pour les leçons de morale ou de sagesse pratique qui en découlent, c’est renouveler la plaisante théorie de ces mauvais interprètes d’Aristote qui donnaient pour but à l’art dramatique de guérir les passions qu’il met en scène. L’esprit que j’attaque ici est celui de la science anglaise si peu élevée, si peu philosophique. Je ne sais si aucun Anglais, Byron peut-être excepté, a compris d’une façon bien profonde la philosophie des choses. Régler sa vie conformément à la raison, éviter l’erreur, ne point s’engager dans des entreprises inexécutables, se procurer une existence douce et assurée, reconnaître la simplicité des lois de l’univers et arriver