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pour sortir de cette paralysie intellectuelle, seraient arrêtés par l’arrière-pensée qu’eux aussi vont se mettre au nombre de ces badauds dont ils ont ri jadis ? On ne guérit pas du raffinement. Mais l’humanité a des procédés de rajeunissement et d’oubli impossibles aux individus. Des générations jeunes et vives, et parfois des races nouvelles viennent sans cesse lui donner de la sève, et d’ailleurs ce mal, par sa nature même, ne saurait durer plus de quelques années comme mal social. Car, son essence étant de prendre les choses par des points de vue tout arbitraires, ceux qui viennent les seconds ne se croient pas obligés par les vues des premiers ; au contraire, tout ce qui est conventionnel provoque une réaction en sens contraire : il est impossible qu’une mode soit durable. Le sérieux et le frivole vont ainsi s’étageant dans les fastes de la mode ; la frivolité ne tarde pas à devenir niaise, et le ridicule est pliable à tous sens. On ne tardera donc pas à rire de ces rieurs et à retrouver le goût de la vie sérieuse. Alors viendra un siècle dogmatique par la science ; on recommencera à croire au certain et à poser à deux pieds sur les choses, quand on saura qu’on est sur le solide.

La religion, la philosophie, la morale, la politique, trouvent de nombreux sceptiques ; les sciences physiques n’en trouvent pas (au moins quant à leur partie définitivement acquise et quant à leur méthode). La méthode de ces sciences est ainsi devenue le criterium de certitude pratique des modernes ; cela leur paraît certain et scientifique, qui est acquis d’une manière analogue aux résultats des sciences physiques, et si les sciences morales leur paraissent fournir des résultats moins positifs, c’est qu’elles ne répondent pas à ce modèle de certitude scien-