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insoluble, on ne pourrait l’empêcher de s’agacer et de s’user autour d’elle.

Il y a, je le sais, dans cet acte hardi par lequel l’homme soulève le mystère des choses, quelque chose d’irrévérencieux et d’attentatoire, une sorte de lèse-majesté divine. Ainsi, du moins, le comprirent tous les peuples anciens. La science à leurs yeux fut un vol fait à Dieu, une façon de le braver et de lui désobéir. Dans le beau mythe par lequel s’ouvre le livre des Hébreux, c’est le génie du mal qui pousse l’homme à sortir de son innocente ignorance, pour devenir semblable à Dieu par la science distincte et antithétique du bien et du mal. La fable de Prométhée n’a pas d’autre sens : les conquêtes de la civilisation présentées comme un attentat, comme un rapt illicite fait à une divinité jalouse, qui voulait se les réserver. De là ce fier caractère d’audace contre les dieux que portent les premiers inventeurs ; de là ce thème développé dans tant de légendes mythologiques que le désir d’un meilleur état est la source de tout le mal dans le monde. On comprend que l’antiquité, n’ayant pas le grand mot de l’énigme, le progrès, n’ait éprouvé qu’un sentiment de crainte respectueuse en brisant les barrières qui lui semblaient posées par une force supérieure, que, n’osant placer le bonheur dans l’avenir, elle l’ait rêvé dans un âge d’or primitif (1), qu’elle ait dit : Audax Iapeti genus, qu’elle ait appelé la conquête du parfait un vetitum nefas. L’humanité avait alors le sentiment de l’obstacle et non celui de la victoire ; mais tout en s’appelant audacieuse et téméraire, elle marchait toujours. Pour nous, arrivés au grand moment de la conscience, il ne s’agit plus de dire Cœlum ipsum petimus stultitia ! et d’avancer en sacrilèges. Il faut marcher la tête haute et sans