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elle les a fait éclater ; mais croyez-vous que ce fût par colère contre ces formes ? Croyez-vous que quand l’oiseau brise son œuf, son but soit de le briser ? Non ; son but est de passer à une vie nouvelle. Tout au plus, si l’œuf résistait, pourrait-i) y déployer un peu de colère. De même, les formes de l’humanité s’étant durcies et comme pétrifiées, il a fallu un grand effort pour les rompre ; l’humanité a dû recueillir ses forces et se proposer la destruction pour elle-même. Il est dans la loi des choses que les formes de l’humanité acquièrent une certaine solidité, que toute pensée aspire à se stéréotyper et à se poser comme éternelle (160). Cela devient par la suite un obstacle, quand il faut briser ; mais dites donc aussi qu’on ne devrait bâtir que des chaumières de boue ou des tentes susceptibles d’être enlevées en une heure et qui ne laissent pas de ruines, parce qu’en bâtissant des palais, on aura beaucoup de peine quand il faudra les démolir.

Hélas ! nous ne sommes que trop portés à cet établissement éphémère. L’humanité est, de nos jours, campée sous la tente. Nous avons perdu le long espoir et les vastes pensées. L’idée de démolition nous préoccupe et nous aveugle. Le christianisme, par exemple, n’est plus aujourd’hui qu’un barrage, une pyramide en travers du chemin, une montagne de pierres qui entrave les constructions nouvelles. A-t-on mal fait pour cela de bâtir la pyramide ? Le moule, en acquérant de la dureté, devient une prison. N’importe car il est essentiel que, pour bien imprimer ses formes, il soit dur. Il ne devient prison que du moment où l’objet moulé aspire à sortir. Alors luttes et malédictions, car on ne le voit plus que comme obstacle. Toujours la vue fatalement partielle et rendue, telle par le but pratique qu’on se propose. Celui qui détruit ne