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et ses grands résultats, l’indice du droit. Les défenseurs du droit absolu, comme les juristes, et du fait aveugle, comme Calliclès, ont tort les uns et les autres. Le fait est le criterium du droit. La révolution française n’est pas légitime, parce qu’elle s’est accomplie ; mais elle s’est accomplie parce qu’elle était légitime. Le droit, c’est le progrès de l’humanité : il n’y a pas de droit contre ce progrès et réciproquement, )c progrès suffit pour tout légitimer. Tout ce qui sert à avancer Dieu est permis.

Nous autres, Français, qui avons l’esprit absolu et exclusif, nous tombons ici en d’étranges illusions, et nous faisons fort souvent ce raisonnement, qui sent encore sa scolastique : « Tel système d’institution serait intolérable chez nous, au point où nous en sommes ; donc il doit l’être partout, et il a dû l’être toujours. » Les simples portent cela jusqu'a des naïvetés adorables. Ne voulaient-ils pas, il y a quelques mois, rendre toute l’Europe républicaine malgré elle ? Nous voulons établir partout le gouvernement qui nous convient et auquel nous avons droit. Nous croirions faire une merveille en établissant le régime constitutionnel parmi les sauvages de l’Océanie, et bientôt nous enverrons des notes diplomatiques au grand Turc, pour l’engager à convoquer son parlement. Nous raisonnons de la même manière relativement à l’émancipation des noirs. Certes, s’il y a une réforme urgente et mûre, c’est celle-là. Mais nous en concluons qu’il faut sans transition appliquer aux noirs le régime de liberté individuelle qui nous convient à nous autres civilisés, sans songer qu’il faut avant tout faire l’éducation de ces malheureux, et que ce régime n’est pas bon pour cela. Le meilleur système que l’on puisse suivre pour faire l’édu-