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par des solutions trop simples et trop apparentes. Inutile de dire qu’ils ont facilement raison les uns des autres car les novateurs opposent aux conservateurs des misères évidentes, auxquelles il faut absolument un remède, et les conservateurs n’ont pas de peine a démontrer aux novateurs qu’avec leur système il n’y aurait plus de société. Or, mieux vaut une société défectueuse qu’une société nulle.

J’ai souvent fait réflexion qu’un païen du temps d’Auguste aurait pu faire valoir pour la conservation de l’ancienne société tout ce que l’on dit de nos jours pour prouver qu’on ne doit rien changer à la société actuelle. Que veut cette religion sombre et triste ? Quelles gens que ces chrétiens, gens qui fuient la lumière, insociables, plèbe, rebut du peuple (152). Je m’étonnerais fort si quelqu’un des satisfaits du temps n’a pas dit comme ceux du nôtre « Il faut non pas réfuter le christianisme ; ce qu’il faut, c’est le supprimer. La société est en présence du christianisme comme en présence d’un ennemi implacable ; il faut que la société l’anéantisse ou qu’elle soit anéantie. Dans ces termes, toute discussion se réduit à une lutte, et toute raison à une arme. Que fait-on vis-à-vis d’un ennemi irréconciliable ? Fait-on de la controverse ? Non, on fait la guerre. Ainsi la société doit se défendre contre le christianisme, non par des raisonnements, mais par la force. Elle doit, non pas discuter ou réfuter ses doctrines, mais les supprimer. » Je suppose Sénèque, tombant par hasard sur ce passage de saint Paul : Non est Judæus, neque Græcus ; non est servus neque liber ; non est masculus neque femina ; omnes enim vos unum estis in Christo. « Assurément, aurait-il dit, voilà un utopiste. Comment voulez-vous qu’une société se passe d’esclaves ? Faudra-t-il donc que je cultive mes terres de mes propres mains ?