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le peuple et ont sur lui peu d’influence. Voyez à Athènes le sort de tous les sages (οἱ ἄριστοι). Miltiade, Thémistocle, Socrate, Phocion. Ils n’ont pas d’éclat extérieur, ils ne flattent pas, ils sont sérieux et sévères, ils ne rient pas, ils parlent un langage difficile et que la multitude n’entend pas, celui de la raison. Comment voulez-vous que de telles gens, s’ils se mêlent de parler à la multitude, n’encourent pas sa disgrâce. Ceux-la seuls parlent au peuple un langage intelligible qui s’adressent à ses passions, ou qui s’intitulent ducs ou comtes. Ces deux langues-la sont faciles à comprendre.

Ainsi s’explique la mauvaise humeur que le peuple a montrée de tout temps contre les philosophes, surtout quand ils ont eu la maladresse de se mêler des affaires publiques. Placé entre le charlatan et le médecin sérieux, le peuple va toujours au charlatan. Le peuple veut qu’on ne lui dise que des choses claires, faciles à comprendre, et le malheur est qu’en rien la vérité n’est à la surface. Le peuple aime qu’on plaisante. Les vues les plus superficielles et les plus rebattues présentées sur un ton de grossière plaisanterie, qui fait grincer les dents à tout esprit délicat, font battre des mains aux ignorants. Les véritables intérêts du peuple ne sont presque jamais dans ce qui en a l’apparence. Les sages qui vont à la réalité ont l’air d’être ses ennemis et les charlatans qui s’en tiennent aux lieux communs sont de droit ses amis. Et puis, il y a dans les sages je ne sais quoi d’orgueilleux, quelque soin qu’ils mettent à se faire humbles et condescendants. Ce n’est pas leur faute ; l’orgueil (et ce mot ici n’a rien de condamnable) est dans ce qu’ils sont. Le grand seigneur est orgueilleux aussi ; mais son orgueil choque moins le peuple. Celui-ci se console