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à la nature humaine, en proposant à son activité une seule chose comme digne d’elle : car cette seule chose renferme l’infini. Elle n’exclut que le vulgaire, qui n’a de valeur qu’en tant qu’il est senti, et au moment où il est senti ; et cette sphère inférieure elle-même est bien moins étendue qu’on pourrait le croire. Il y a dans la vie humaine très peu de choses tout à fait profanes. Le progrès de la moralité et de l’intelligence amènera des points de vue nouveaux, qui donneront une valeur idéale aux actes en apparence les plus grossiers. Le christianisme, aidé par les instincts des races celtiques et germaniques, n’a-t-il pas élevé à la dignité d’un sentiment esthétique et moral un fait où l’antiquité tout entière, Platon à peine excepté, n’avait vu qu’une jouissance ? L’acte le plus matériel de la vie, celui de la nourriture, ne reçut-il pas des premiers chrétiens une admirable signification mystique ? Le travail matériel, qui n’est aujourd’hui qu’une corvée abrutissante pour ceux qui y sont condamnés, n’était pas tel au moyen âge, pour ces ouvriers qui bâtissaient des cathédrales en chantant. Qui sait si un jour la vue du bien général de l’humanité, pour laquelle on construit, ne viendra pas adoucir et sanctifier les sueurs de l’homme ? Car, au point de vue de l’humanité, les travaux les plus humbles ont une valeur idéale, puisqu’ils sont le moyen ou du moins la condition des conquêtes de l’esprit. La sanctification de la vie inférieure par des pratiques et des cérémonies extérieures est un trait commun à toutes les religions. Les progrès du rationalisme ont pu d’abord, et cela sans grand mérite, déclarer ces cérémonies purement superstitieuses. Qu’en est-il résulté ? Privée de son idéalisation, la vie est devenue quelque chose de profane, de vulgaire, de prosaïque, à tel point que, pour certains actes, où le