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vent beaucoup plus faciles à résoudre dans une science que dans une autre. Ainsi, je suis persuadé que les naturalistes tireraient de grandes lumières, pour le problème si philosophique de la classification et de la réalité des espèces, de l’étude de la méthode des linguistes et des caractères naturels qui leur servent à former les familles et les groupes, d’après la dégradation insensible des procédés grammaticaux. Que les savants y prennent garde ; il y a dans cette manie de ne regarder comme de bon aloi que les travaux de première main un peu de vanité. Ce système, poussé à l’extrême, aboutirait à renfermer chacun en lui-même et à détruire tout commerce intellectuel et scientifique. A quoi serviraient les monographies, si pour chaque travail ultérieur on en était sans cesse à recommencer. Ce défaut tient encore à une autre vanité des savants, qui tient elle-même de très près à l’esprit superficiel, contre lequel ils ont une si juste horreur : c’est de faire des livres non pour être lus, mais pour prouver leur érudition.

On ne peut trop le répéter, les véritables travaux scientifiques sont les travaux de première main. Les résultats n’ont d’ordinaire toute leur pureté que dans les écrits de celui qui le premier les a découverts. Il est difficile de dire combien les choses scientifiques en passant ainsi de main en main, et s’écartant de leur source première, s’altèrent et se défaçonnent, sans mauvaise volonté de la part de ceux qui les empruntent. Tel fait est pris sous un jour un peu différent de celui sous lequel on le vit d’abord ; on ajoute une réflexion que n’eût pas faite l’auteur des travaux originaux, mais qu’on croit pouvoir légitimement faire. On avance une généralité que l’investigateur primitif ne se fût pas formulée de la