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et leur peine. Il n’y a pas pour eux de public ; ils seront lus de trois quatre personnes, quelquefois de celui-là seul qui fera la recension de leur ouvrage dans une revue savante (98), ou de celui qui reprendra le même travail, si tant est qu’il prenne le soin de connaître ses devanciers. Eh bien ! les monographies sont encore après tout ce qui reste le plus. Un livre de généralités est nécessairement dépassé au bout de dix années ; une monographie étant un fait dans la science, une pierre posée dans l’édifice, est en un sens éternelle par ses résultats. On pourra négliger le nom de son auteur ; elle-même pourra tomber dans l’oubli ; mais les résultats qu’elle a contribué à établir demeurent. Une vie entière est suffisamment récompensée, si elle a fourni quelques éléments au symbole définitif, quelques transformations que ces éléments puissent subir. Ce sera là désormais la véritable immortalité (99).

On pourrait citer une foule de recherches qui pour l’avenir se résoudront ainsi en quelques lignes, lesquelles supposeront des vies entières de patiente application. Les royaumes grecs de la Bactriane et de la Pentapotamie ont été depuis quelques années l’objet de travaux qui formeraient déjà plusieurs volumes et sont loin d’être clos. Peut-on espérer que ces études demeurent avec tous leurs détails dans la science de l’avenir ? Non certes. Et pourtant elles ont été nécessaires pour caractériser l’étendue, l’importance, la physionomie de ces colonies avancées de la Grèce ; sans ces laborieuses recherches, on eût ignoré une des faces des plus curieuses de l’histoire de l’hellénisme en Orient. Ces résultats acquis, les travaux qui ont servi à les acquérir peuvent disparaître sans trop d’inconvénient, comme l’échafaudage après l’achèvement de l’édifice.