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très peu de branches dans la philologie et l’histoire où les travaux généraux soient possibles avec une pleine sécurité. Presque toutes les sciences ont déjà leur grande histoire : histoire de la médecine, histoire de la philosophie, histoire de la philologie. Eh bien ! on peut affirmer sans hésiter que pas une seule de ces histoires, excepté peut-être l’histoire de la philosophie, n’est possible, et que, si le travail des monographies ne prend pas plus d’extension, aucune ne sera possible avant un siècle. On ne peut, en effet, exiger de celui qui entreprend ces vastes histoires une égale connaissance spéciale de toutes les parties de son sujet. Il faut qu’il se fie pour bien des choses aux travaux faits par d’autres. Or, sur plusieurs points importants, les monographies manquent encore, en sorte que l’auteur est réduit à recueillir ça et là quelques notions éparses et de seconde main, souvent fort inexactes. Soit, par exemple, l’histoire de la médecine, une des plus curieuses et des plus importantes pour l’histoire de l’esprit humain. Je suppose qu’un savant entreprenne de refaire dans son ensemble l’œuvre si imparfaite de Sprengel. Au moyen de ses connaissances personnelles et des travaux déjà faits, il pourra peut-être traiter d’une manière définitive la partie ancienne. Mais la médecine arabe, la médecine du moyen âge, la médecine indienne, la médecine chinoise ? En supposant même qu’il sût l’arabe, le chinois ou le sanskrit, et qu’il fût capable de faire dans une de ces langues d’utiles monographies, sa vie ne suffirait pas à parcourir superficiellement un seul de ces champs encore inexplorés. Ainsi donc, en se condamnant à être complet, il se condamne à être superficiel. Son livre ne vaudra que pour les parties où il est spécial ; mais alors pourquoi ne pas se borner à ces parties ? Pour-