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l’histoire de la philosophie. On croit avoir tout dit en opposant quelques noms propres. Mais la façon dont le peuple prenait la vie, le système intellectuel sur lequel le temps se reposait, on ne s’en occupe pas, et là pourtant est le grand principe moteur. L’histoire de l’esprit humain est faite en général d’une manière beaucoup trop individuelle. C’est comme une scène de théâtre, qui se passe sur une place publique, et où l’on ne voit que deux ou trois personnes. Telle histoire de la philosophie allemande se croit complète en consacrant des articles séparés à Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Hamann, Herder, Jacobi, Herbart. Mais le grand entourage de l’humanité, où est-il ? Ce serait sur ce fond permanent qu’il faudrait faire jouer les individus. L’histoire de la philosophie, en un mot, devrait être l’histoire des pensées de l’humanité. Il y a dans les idées courantes d’un peuple et d’une époque une philosophie et une littérature non écrites, qu’il faudrait faire entrer en ligne de compte. On se figure qu’un peuple n’a de littérature que quand il a des monuments définis et arrêtés. Mais les vraies productions littéraires des peuples enfants, ce sont des idées mythiques non rédigées (l’idée d’une rédaction régulière et les facultés que suppose un tel travail n’apparaissent chez un peuple qu’à un degré de réflexion assez avancé), idées courant sur toute la nation, descendant la tradition par mille voies secrètes, et auxquelles chacun donne une forme à sa guise. On serait tenté de croire, au premier coup d’œil, que les peuples bretons n’ont pas de littérature, parce qu’il serait difficile de fournir un catalogue étendu de livres bretons réellement anciens et originaux. Mais ils ont en effet toute une littérature traditionnelle dans leurs lé-