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chiel à un homme qui n’est pas initié aux littératures étrangères, il les trouvera tout simplement hideuses et repoussantes. Voltaire avait raison, à son point de vue, de se moquer d’Ézéchiel (90), comme Perrault et quelques critiques d’Alexandrie avaient raison de déclarer Homère ridicule, et quand madame Dacier et Boileau veulent défendre Homère, sans sortir de cette étrange manière d’envisager l’antiquité, ils ont tort. Pour comprendre le vrai sens de ces beautés exotiques, il faut s’être identifié avec l’esprit humain ; il faut sentir, vivre avec lui, pour le retrouver partout original, vivant, harmonieux jusque dans ses créations les plus excentriques. Champollion était arrivé à trouver belles les têtes égyptiennes ; les Juifs trouvent le Talmud plein d’une aussi haute morale que l’Évangile les amateurs du moyen âge admirent de grotesques statuettes devant lesquelles les profanes passent indifférents. Croyez-vous que ce soit là une pure illusion d’érudit ou d’amateur passionné ? Non ; c’est que dans tous les replis de ce que fait l’homme, est caché le rayon divin ; l’observateur attentif sait l’y retrouver. L’autel sur lequel les patriarches sacrifiaient à Jéhova, pris matériellement, n’était qu’un tas de pierres pris dans sa signification humanitaire, comme symbole de la simplicité de ces cultes antiques et du Dieu brut et amorphe de l’humanité primitive, ce tas de pierres valait un temple de la Grèce anthropomorphique, et était certes mille fois plus beau que nos temples d’or et de marbre, élevés et admirés par des gens qui ne croient pas en Dieu. Un peu de bouse de vache et une poignée d’herbe kousa suffisent au brahmane pour le sacrifice et pour atteindre Dieu à sa manière. Le cippe grossier par lequel les Hellènes représentaient les Grâces leur disait plus de