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mensongères dans leur forme absolue. Les règles générales ne sont que des expédients mesquins pour suppléer à l’absence du grand sens moral, qui suffit à lui seul pour révéler en toute occasion à l’homme ce qui est le plus beau. C’est vouloir suppléer par des instructions préparées d’avance à la spontanéité intime. La variété des cas déjoue sans cesse toutes les prévisions. Rien, rien ne remplace l’âme : aucun enseignement ne saurait suppléer chez l’homme à l’inspiration de sa nature.

La psychologie telle qu’on l’a faite jusqu’à nos jours, est à la vraie psychologie historique, ce que la philologie comparée des Bopp et des G. de Humboldt est à cette maigre partie de la dialectique qu’on appelait autrefois grammaire comparée. Ici l’on prenait la langue comme une chose pétrifiée, arrêtée, stéréotypée dans ses formes, comme quelque chose de fait et que l’on supposait avoir été et devoir toujours être tel qu’il était. Là, au contraire, on prend l’organisme vivant, la variété spécifique, le mouvement, le devenir, l’histoire en un mot. L’histoire est la vraie forme de la science des langues (84). Prendre un idiome, à tel moment donné de son existence, peut être utile sans doute, s’il s’agit d’un idiome qu’on apprenne pour le parler. Mais s’arrêter là est aussi peu profitable à la science que si l’on bornait l’étude des corps organisés à examiner ce qu’ils sont à tel moment précis, sans rechercher les lois de leur développement. Sans doute, si les langues étaient comme les corps inanimés dévoués à l’immobilité, la grammaire devrait être purement théorique. Mais elles vivent comme l’homme et l’humanité qui les parlent ; elles se décomposent et se recomposent sans cesse ; c’est une vraie végétation intérieure, une circulation incessante du dedans au dehors et du dehors au