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a introduits dans la manière de voir des modernes. Or, une histoire attentive de l’esprit humain depuis le xve siècle démontrerait, ce me semble, que les plus importantes révolutions de la pensée ont été amenées directement ou indirectement par des hommes qu’on doit appeler littérateurs ou philologues. Il est indubitable au moins que de tels hommes ont exercé une influence bien plus directe que ceux qu’on appelle proprement philosophes. Quand l’avenir réglera les rangs dans le Panthéon de l’humanité d’après l’action exercée sur le mouvement des choses, les noms de Pétrarque, de Voltaire, de Rousseau, de Lamartine, précéderont sans doute ceux de Descartes et de Kant. Les premiers réformateurs, Luther, Mélanchthon, Eobanus Hessus, Calvin, tous les fauteurs de la Réforme, Érasme, les Étienne, étaient des philologues ; la Réforme est née en pleine philologie. Le xviiie siècle, bien que superficiel en érudition, arrive à ses résultats bien plus par la critique, l’histoire et la science positive que par l’abstraction métaphysique (67). La critique universelle est le seul caractère que l’on puisse assigner à la pensée délicate, fuyante, insaisissable du xixe siècle. De quel nom appeler tant d’intelligences d’élite qui sans dogmatiser abstraitement ont révélé à la pensée une nouvelle façon de s’exercer dans le monde des faits ? M. Cousin lui-même est-il un philosophe ? Non c’est un critique qui s’occupe de philosophie, comme tel autre s’occupe de l’histoire, tel autre de ce qu’on appelle littérature. La critique, telle est donc la forme sous laquelle, dans toutes les voies, l’esprit humain tend à s’exercer ; or, si la critique et la philologie ne sont pas identiques, elles sont au moins inséparables. Critiquer, c’est se poser en spectateur et en juge au milieu de la variété des choses ; or la philologie est l’interprète