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que les nôtres ; le moyen âge a eu des philosophes, des savants, des poètes ; mais il n’a pas eu de philologues (58) ; de là ce manque de critique qui le constitue à l’état d’enfance intellectuelle. Entraîné vers l’antiquité par ce besoin nécessaire qui porte toutes les nations néo-latines vers leurs origines intellectuelles, il n’a pu la connaître dans sa vérité, faute de l’instrument nécessaire (59). Il y avait autant d’auteurs latins et aussi peu d’auteurs grecs en Occident à l’époque de Vincent de Beauvais qu’à l’époque de Pétrarque. Et pourtant Vincent de Beauvais ignore l’antiquité, il n’en possède que quelques bribes insignifiantes et détachées, ne formant aucun sens, et ne constituant pas un esprit. Pétrarque, au contraire, qui n’a pas encore lu Homère, mais qui en possède un manuscrit en langue originale et l’adore sans le comprendre (60), a deviné l’antiquité ; il en possède l’esprit aussi éminemment qu’aucun savant des siècles qui ont suivi ; il comprend par son âme ce dont la lettre lui échappe ; il s’enthousiasme pour un idéal qu’il ne peut encore que soupçonner. C’est que l’esprit philologique fait en lui sa première apparition. Voilà pourquoi il doit être regardé comme le fondateur de l’esprit moderne en critique et en littérature. Il est à la limite de la connaissance inexacte, fragmentaire, matérielle, et de la connaissance comparée, délicate, critique en un mot. Si le moyen âge, par exemple, a si mal compris la philosophie ancienne, est-ce faute de l’avoir suffisamment étudiée ? Qui oserait le dire du siècle qui a produit les vastes commentaires d’Albert et de saint Thomas ? Est-ce faute de documents suffisants ? Pas davantage. Il possédait le corps complet du péripatétisme, c’est-à-dire l’encyclopédie philosophique de l’antiquité ; il y joignait de nom-