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et tant d’autres travaux préparatoires ? Mabillon, Muratori, Baluze, Du Cange, n’étaient pas de grands philosophes, et pourtant ils ont plus fait pour la vraie philosophie que tant d’esprits creux et systématiques qui ont voulu bâtir en l’air l’édifice des choses, et dont pas une syllabe ne restera parmi les acquisitions définitives. Je ne parle point ici de ces œuvres où la plus solide érudition s’unit à une critique fine ou élevée, comme les derniers volumes de l’Histoire littéraire de la France, comme l’Essai sur le buddhisme de M. Eugène Burnouf, comme l’Archéologie indienne de M. Lassen, comme la Grammaire comparée de M. Bopp, ou les Religions de l’antiquité de M. Guigniaut. J’affirme, pour ma part, qu’il n’est aucun de ces ouvrages où je n’aie puisé plus de choses philosophiques que dans toute la collection de Descartes et de son école. Mais je parie de ces œuvres du caractère le plus sévère et que les profanes tiennent pour illisibles, comme par exemple des Catalogues de manuscrits, des grandes compilations, des Bibliothèques, comme celle de Fabricius, etc., eh bien ! dis-je, de tels livres, presque insignifiants en eux-mêmes, ont une valeur inappréciable, si on les envisage comme matériaux de l’histoire de l’esprit humain. Je verrais brûler dix mille volumes de philosophie dans le genre des leçons de La Romiguière ou de la Logique de Port-Royal, que je sauverais de préférence la Bibliothéque orientale d’Assémani ou la Bibliotheca arabico-hispana de Casiri. Car pour la philosophie, il y a toujours avantage à reprendre les choses ab integro, et après tout le philosophe peut toujours dire : Omnia mecum porto ; au lieu que les plus beaux génies du monde ne sauraient me rendre les documents que ces collections