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elles ne sont à mes yeux que bien secondaires, eu égard à la place nouvelle que le développement de la philosophie contemporaine devra faire à ces études. Un pas encore, et l’on proclamera que la vraie philosophie est la science de l’humanité, et que la science d’un être qui est dans un perpétuel devenir ne peut être que son histoire. L’histoire, non pas curieuse mais théorique, de l’esprit humain, telle est la philosophie du xixe siècle. Or cette étude n’est possible que par l’étude immédiate des monuments, et ces monuments ne sont pas abordables sans les recherches spéciales du philologue. Telle forme du passé suffit à elle seule pour occuper une laborieuse existence. Une langue ancienne et souvent inconnue, une paléographie à part, une archéologie et une histoire péniblement déchiffrées, voilà certes plus qu’il n’en faut pour absorber tous les efforts de l’investigateur le plus patient, si d’humbles artisans n’ont consacré de longs travaux à extraire de la carrière et présenter réunis à son appréciation les matériaux avec lesquels il doit reconstruire l’édifice du passé (57). Il se peut qu’aux yeux de l’avenir, tel esprit lourd et médiocre, mais patient, qui a fourni à cette œuvre gigantesque une pierre de quelque importance, occupe une place plus élevée que tel spéculatif de second ordre, qui s’intitulait philosophe, et n’a fait que bavarder sur le problème, sans fournir une seule donnée nouvelle à sa solution. La révolution qui depuis 1820 a changé complètement la face des études historiques, ou pour mieux dire qui a fondé l’histoire parmi nous, est apparemment un fait aussi important que l’apparition de quelque nouveau système. Eh bien ! les travaux si pleins d’originalité des Guizot, des Thierry, des Michelet auraient-ils été possibles sans les collections bénédictines