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l’infini (41), voilà les plus brillantes hypothèses auxquelles était arrivé l’esprit humain. Au delà, il est vrai, était le monde des anges avec ses éternelles splendeurs ; mais là encore, quelles étroites limites, quelles conceptions finies ! Le temple de notre Dieu n’est-il pas agrandi, depuis que la science nous a découvert l’infinité des mondes ? Et pourtant on était libre alors de créer des merveilles ; on taillait en pleine étoffe, si j’ose le dire ; l’observation ne venait pas gêner la fantaisie ; mais c’était à la méthode expérimentale, que plusieurs se plaisent à représenter comme étroite et sans idéal, qu’il était réservé de nous révéler, non pas cet infini métaphysique dont l’idée est la base même de la raison de l’homme, mais cet infini réel, que jamais il n’atteint dans les plus hardies excursions de sa fantaisie. Disons donc sans crainte que, si le merveilleux de la fiction a pu jusqu’ici sembler nécessaire à la poésie, le merveilleux de la nature, quand il sera dévoilé dans toute sa splendeur, constituera une poésie mille fois plus sublime, une poésie qui sera la réalité même, qui sera à la fois science et philosophie. Que si la connaissance expérimentale de l’univers physique a de beaucoup dépassé les rêves que l’imagination s’était formés, n’est-il pas permis de croire que l’esprit humain, en approfondissant de plus en plus la sphère métaphysique et morale, et en y appliquant la plus sévère méthode, sans égard pour les chimères et les rêves désirables, s’il y en a, ne fera que briser un monde étroit et mesquin pour ouvrir un autre monde de merveilles infinies ? Qui sait si notre métaphysique et notre théologie ne sont pas à celles que la science rationnelle révélera un jour, ce que le Cosmos d’Anaximène ou d’Indicopleustès était au Cosmos de Herschell et de Humboldt ?