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ginalité et de leur indomptable énergie et leurs timides apologistes et leurs insolents contempteurs.

Je suppose une pensée aussi originale et aussi forte que celle du christianisme primitif apparaissant de nos jours. Il semble au premier coup d’œil qu’elle n’aurait aucune chance de fortune. L’égoïsme est dominant, le sens du grand dévouement et de l’apostolat désintéressé est perdu. Le siècle parait n’obéir qu’à deux mobiles, l’intérêt et la peur. À cette vue, une profonde tristesse saisit l’âme : C’en est donc fait ! Il faut renoncer aux grandes choses ; les généreuses pensées ne vivront plus que dans le souvenir des rhéteurs ; la religion ne sera plus qu’un frein que la peur des classes riches saura manier. La mer de glace s’étend et s’épaissit sans cesse. Qui pourra la percer ?

Âmes timides, qui désespérez ainsi de l’humanité, remontez avec moi dix-huit cents ans. Placez-vous à cette époque où quelques inconnus fondaient en Orient le dogme qui depuis a régi l’humanité. Jetez un regard sur ce triste monde qui obéit à Tibère ; dites-moi s’il est bien mort. Chantez donc encore une fois l’hymne funèbre de l’humanité : elle n’est plus, le froid lui a monté au cœur. Comment ces pauvres enthousiastes rendraient-ils la vie à un cadavre, et sans levier soulèveraient-ils un monde ? Eh bien ! ils l’ont fait : trois cents après, le dogme nouveau était maître, et quatre cents ans après, il était tyran à son tour.

Voilà notre triomphante réponse. L’état de l’humanité ne sera jamais si désespéré que nous ne puissions dire : Bien des fois déjà on l’a crue morte ; la pierre du tombeau semblait à jamais scellée, et le troisième jour, elle est ressuscitée !