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du monde. Mettra-t-on tel homme médiocre de notre temps au-dessus d’un François d’Assise, d’un saint Bernard, d’une Jeanne d’Arc, d’un Luther, parce qu’il est exempt des erreurs que ces derniers ont professées ? Voudrait-on mesurer les hommes à la rectitude de leurs idées en physique et à la connaissance plus ou moins exacte qu’ils possèdent du vrai système du monde ? Comprenons mieux la position de Jésus et ce qui fit sa force. Le déisme du dix-huitième siècle et un certain protestantisme nous ont habitués à ne considérer le fondateur de la foi chrétienne que comme un grand moraliste, un bienfaiteur de l’humanité. Nous ne voyons plus dans l’Évangile que de bonnes maximes ; nous jetons un voile prudent sur l’étrange état intellectuel où il est né. Il y a des personnes qui regrettent aussi que la révolution française soit sortie plus d’une fois des principes et qu’elle n’ait pas été faite par des hommes sages et modérés. N’imposons pas nos petits programmes de bourgeois sensés à ces mouvements extraordinaires si fort au-dessus de notre taille. Continuons d’admirer la « morale de l’Évangile ; » supprimons dans nos instructions religieuses la chimère qui en fut l’âme ; mais ne croyons pas qu’avec les simples idées de bonheur ou de moralité individuelle on remue le monde. L’idée de Jésus fut bien plus profonde ; ce fut l’idée la plus révolutionnaire qui soit jamais éclose dans un cerveau humain ; elle doit être prise dans son ensemble, et non avec ces