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Il y a eu de la philosophie avant Socrate et de la science avant Aristote. Depuis Socrate et depuis Aristote, la philosophie et la science ont fait d’immenses progrès ; mais tout a été bâti sur le fondement qu’ils ont posé. De même, avant Jésus, la pensée religieuse avait traversé bien des révolutions ; depuis Jésus, elle a fait de grandes conquêtes : on n’est pas sorti, cependant, on ne sortira pas de la notion essentielle que Jésus a créée ; il a fixé pour toujours l’idée du culte pur. La religion de Jésus, en ce sens, n’est pas limitée. L’Église a eu ses époques et ses phases ; elle s’est renfermée dans des symboles qui n’ont eu ou qui n’auront qu’un temps : Jésus a fondé la religion absolue, n’excluant rien, ne déterminant rien, si ce n’est le sentiment. Ses symboles ne sont pas des dogmes arrêtés ; ce sont des images susceptibles d’interprétations indéfinies. On chercherait vainement une proposition théologique dans l’Évangile. Toutes les professions de foi sont des travestissements de l’idée de Jésus, à peu près comme la scolastique du moyen âge, en proclamant Aristote le maître unique d’une science achevée, faussait la pensée d’Aristote. Aristote, s’il eût assisté aux débats de l’école, eût répudié cette doctrine étroite ; il eût été du parti de la science progressive contre la routine, qui se couvrait de son autorité ; il eût applaudi à ses contradicteurs. De même, si Jésus revenait parmi nous, il reconnaîtrait pour disciples, non ceux qui prétendent le renfermer tout entier dans quelques