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En supposant le livre ainsi composé vers l’an 50 dans la haute Syrie, on aura, ce me semble, satisfait à la plupart des exigences du problème. L’état des pratiques et des idées juives, surtout en ce qui concerne le pain des païens, rappelle les temps qui précèdent immédiatement la révolte sous Néron[1]. La description de la Jérusalem éternelle semble calquée sur l’Apocalypse (ch. xxi) ; non que l’un des auteurs ait copié l’autre ; mais ils puisent à un fond d’imaginations communes. La démonologie, surtout la circonstance du démon enchaîné dans les déserts de la haute Égypte, rappelle l’évangéliste Marc. Enfin, la forme de mémoires personnels que présente le texte grec, au moins dans ses premières pages[2], fait penser au livre de Néhémie ; cette forme n’est plus en usage dans les apocryphes postérieurs à l’an 70. — Les inductions qui porteraient à reculer la date de la composition à une date antérieure, inductions que nous n’avons pas dissimulées, sont contrebattues par des considérations qui détournent, d’un autre côté, d’attribuer au livre une grande ancienneté.

Un fait capital, en effet, c’est qu’on ne trouve, chez les Juifs ni chez les chrétiens, aucune mention du livre de Tobie avant la fin du iie siècle[3]. Or il faut avouer que, si les chrétiens du ier et du iie siècle eussent possédé le livre, ils l’eussent trouvé en parfaite harmonie avec leurs sentiments. Soit Clément Romain, par exemple ; certainement, s’il avait eu un pareil écrit entre les mains, il l’eût cité, comme il cite le livre de Judith. Si le livre était antérieur à Jésus-Christ, on ne comprendrait pas qu’il fût resté dans une telle obscurité. Au contraire, si on admet que le livre

  1. Grætz, Gesch., IV, p. 166
  2. Cette forme a disparu dans la version latine.
  3. Voir ci-dessus, p. 228, note 3.