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du livre d’Esther, pendu à la potence où il avait voulu faire attacher Mardochée, père nourricier d’Esther. Dans un livre composé en l’an 100 ou 135 de notre ère, tout cela est peu concevable. Il faut se reporter à un temps et à un milieu juif où le livre d’Esther existait sous une tout autre forme que celle de nos Bibles, et où le rôle de Mardochée était joué par un certain Akhiakhar, également domestique du roi. Or le livre d’Esther existait sûrement tel que nous l’avons au ier siècle de notre ère, puisque Josèphe le connaît déjà interpolé.

3o Une objection non moins grave contre le système de M. Grætz est que, si le livre de Tobie était postérieur à la défaite de Bar-Coziba, les chrétiens ne l’eussent pas adopté. Dans l’intervalle de Titus à Adrien, la fraternité religieuse des juifs et des chrétiens est suffisante pour que les livres nouveaux éclos dans la communauté juive, tels que Judith, l’apocalypse d’Esdras, celle de Baruch, passent sans difficulté de la synagogue à l’Église. Après les déchirements qui accompagnèrent la guerre de Bar-Coziba, cela n’eut plus lieu. Le judaïsme et le christianisme sont désormais deux ennemis ; rien ne passe d’un côté à l’autre du fossé qui les sépare[1]. Et puis la synagogue, à vrai dire, ne crée plus de pareils livres, calmes, idylliques, sans fanatisme, sans haine. À partir de 135, le judaïsme produit le Talmud, une sèche et âpre casuistique. Des croyances toutes profanes et d’origine persane, comme la guérison des démoniaques et des aveugles par des viscères de poissons, cette sobriété de merveilleux, par suite de laquelle les deux éprouvés sont guéris, sans miracle, par des recettes dont les privilégiés de Dieu ont le secret, tout cela n’est plus

  1. Voir ci-dessus, p. 259 et suiv.