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et ne fut-on pas tenté de réduire les quatre Évangiles à un seul, soit en en supprimant trois, soit en faisant une harmonie des quatre, à la façon du Diatessaron de Tatien, soit en dressant une sorte d’Évangile a priori comme Marcion ? On ne vit jamais mieux l’honnêteté de l’Église qu’en cette circonstance. De gaieté de cœur, elle se mit dans les plus terribles embarras. Il est impossible que quelques-unes des contradictions des Évangiles n’aient pas dès lors crevé les yeux. Celse les relève déjà finement[1]. On aima mieux s’exposer pour l’avenir aux plus foudroyantes objections que de condamner des écrits tenus pour inspirés par tant de personnes. Chacun des quatre grands Évangiles avait sa clientèle, si l’on peut s’exprimer ainsi. Les arracher des mains de ceux qui les aimaient aurait été une impossibilité. C’eût été, en outre, condamner à l’oubli une foule de beaux traits où l’on reconnaissait Jésus, quoique l’agencement du récit fût divers. La tétractys[2] l’emporta, sauf à imposer à la critique ecclésiastique la plus étrange des tortures, celle de faire un texte concordant avec quatre textes discordants.

  1. Dans Orig., II, 74 ; V, 56.
  2. Ἡ ἀγία τῶν εὐαγγελίων τετρακτύς. Eus., H. E., III, xxv, 1. Cf. Origène, In Luc., hom. i (Opp., III, 933). Τετράμορφον τὸ εὐαγγέλιον. Irénée, III, xi, 8.