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immédiats de Jésus lui donnait une immense autorité. Il alléguait, selon sa coutume, l’enseignement des apôtres, dont il se disait le dernier auditeur vivant, et maintenait comme unique règle de foi la tradition remontant par une chaîne non interrompue à Jésus lui-même. Il ne s’interdisait aucune rudesse. Un jour, il rencontra dans un lieu public un homme pour lequel mille raisons auraient dû lui commander des égards, Marcion lui-même. « Ne me reconnais-tu pas ? lui dit celui-ci. — Oui, répondit l’ardent vieillard, je reconnais le premier-né de Satan[1]. » Irénée n’a pas assez d’admiration pour cette réponse, qui montre combien la pensée chrétienne s’était déjà rapetissée. Jésus disait bien plus sagement : « Qui n’est pas contre vous est pour vous. » Est-on jamais bien sûr de n’être pas soi-même le premier-né de Satan ? Combien il est plus sage, au lieu d’anathématiser dès l’abord celui qui marche dans d’autres voies que vous, de s’appliquer à découvrir en quoi il peut avoir raison, par quel biais il envisage les choses et s’il n’y a pas dans sa manière de voir quelque part de vérité qu’on doive s’assimiler !

Mais ce ton d’assurance a sur les gens de demi-culture une grande efficacité. Beaucoup de valenti-

  1. Irénée, III, iii, 4 ; Saint Jér., De viris ill., 17.