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saient la réponse qu’on désirait obtenir d’eux. Les orthodoxes admettaient que les démons révélaient parfois aux imposteurs quelques vérités pour mieux tenter les justes ; mais ils soutenaient qu’on pouvait toujours distinguer les prophètes de Dieu des prophètes frivoles[1]. Naturellement, cela causait de graves embarras ; car, ce que l’un appelait frivole, l’autre le croyait dicté par « l’ange de l’esprit prophétique ».

Les orthodoxes, pas plus que les hétérodoxes, ne se faisaient scrupule de donner en pâture au public pieux les révélations les plus audacieusement fabriquées, et ces révélations étaient avidement reçues. Telle fut, en particulier, une prophétie dont le titre seul marquait suffisamment la tendance et l’esprit. Il est raconté, au livre des Nombres[2], qu’Eldad et Modad, revêtus d’une partie des pouvoirs prophétiques de Moïse, prophétisèrent hors rang et dans des conditions tout individuelles. Josué voulut les faire taire. Moïse l’arrêta : « Es-tu jaloux pour moi ? lui dit-il. Plût à Dieu que tout le peuple de Jéhovah fût prophète et que Jéhovah mît son esprit sur tous ! » Eldad et Modad étaient ainsi les représentants, chez l’ancien peuple, de la prophétie individuelle. On mit

  1. Hermas, Mand. x et xi. Comp. Hom. pseudo-clém., ii, 15 ; iii, 23 et suiv. ; Recogn., IV, 21, 22 ; VIII, 60.
  2. Nombres, xi, 26 et suiv.