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l’avaient précédée ; mais Juda le Saint n’inventa pas toutes les divisions, tous les titres. Plusieurs des traités de sa compilation étaient complètement rédigés avant lui[1]. Après Aquiba, du reste, les écoles originales disparaissent. Les docteurs, désormais pleins de respect pour des prédécesseurs qui leur paraissaient entourés de l’auréole du martyre, n’essayent plus de méthodes nouvelles ; ce sont de simples compilateurs.

Ainsi, en même temps que les chrétiens, les juifs se firent une nouvelle Bible, qui rejeta un peu dans l’ombre la première. La Mischna fut leur Évangile, leur Nouveau Testament. Du livre juif au livre chrétien la distance est énorme. C’est un des phénomènes les plus extraordinaires de l’histoire que l’apparition simultanée, dans la même race, du Talmud et de l’Évangile, d’un petit chef-d’œuvre d’élégance, de légèreté, de finesse morale, et d’un lourd monument de pédanterie, de misérable casuistique et de formalisme religieux[2]. Ces deux jumeaux sont assurément les deux créatures les plus dissemblables qui soient jamais sorties du sein d’une même mère. Quelque chose de barbare et d’inintelligible, un mépris désolant de la langue et de la forme, un manque absolu de distinction, de talent,

  1. Ainsi Eduioth, Middoth, Tamid et Joma.
  2. Μάχαι νομικαί (Tit., iii, 9).